Il
y a fort longtemps dans un pays lointain qui s’appelait la France,
une jeune fille prénommée Mélissa avait horreur de la choucroute.
La choucroute étant une spécialité adorée
de son
pays, elle avait bien été forcée d'essayer de goûter à ce plat
abominable, car ses parents ne voulaient pas qu'elle devienne
exigeante. Mais la seule prononciation du mot « choucroute »
à son oreille était un supplice pour la jeune fille. Lors des
repas de famille, tout le monde lui répétait « choucroute,
choucroute » pour la taquiner. Alors elle souriait à la
blague, mais au fond d'elle, elle souffrait de sa différence, elle
sentait comme une
sensation d'étouffement lorsqu'elle
entendait ce mot.
On
pouvait la voir mourir
à petit feu. Ce mot créait
en elle
un
dégoût qu'elle
ne pouvait expliquer, et
de la haine, car
ici-bas, tout le monde aimait la choucroute.
Mélissa vivait avec sa mère et son beau-père dans une petite ville tranquille. Ils avaient une belle maison, grande et confortable avec un immense jardin. C'était idéal pour recevoir des invités et la famille de Mélissa venait donc souvent leur rendre visite le temps d'un repas. Afin de satisfaire au mieux leurs invités, la mère de Mélissa avait un poulailler dans le jardin afin de leur garantir la meilleure volaille qui soit et un potager plein de légumes bien frais. Un jour, par une belle matinée de dimanche ensoleillé, Mélissa fût réveillée par le Soleil qui filtrait par l'ouverture de sa fenêtre. La douce chaleur sur son visage la réveilla lentement. Cela promettait d'être une magnifique journée que rien ni personne ne pourrait gâcher. Il était tard. Comme à son habitude elle pensait que c'était encore le matin, or il était déjà midi. Qu'importe ! C'était dimanche, elle pouvait bien faire la grasse matinée. Elle se leva et descendit prendre un petit-déjeuner. Sa mère qui était dans la cuisine, était, elle, déjà aux fourneaux. Elle regarda sa fille et resta bouche-bée.
-
Bah t'es encore en pyjamas ? Y'a ta tante et tes cousines qui
arrivent dans une demi-heure alors va te préparer !
-
Ah oui c'est vrai ! J'avais oublié. Y'a le temps c'est bon.
Puis même si je suis comme ça c'est pas grave, on est en famille,
répondit Mélissa en prenant le pot de Nutella dans un placard.
-
Ah non tu manges pas maintenant sinon après t'auras plus faim. Tu
reposes ça et tu montes t'habiller, lui ordonna sa mère.
À
ce moment-là, son beau-père entra par la véranda de la salle à
manger avec un panier contenant des pommes de terre et du chou
cueilli de leur jardin. Mélissa jeta un œil au panier et demanda à
sa mère et demanda :
-
On mange quoi ?
-
Je fais de la choucroute, répondit-elle d'un ton calme. Alors je
t'interdis de manger c'est clair ?
Mélissa
ne répliqua pas. Elle resta immobile encore fixée sur le mot
imprononçable. Elle ressentait un mélange entre la haine et
l'étouffement que lui faisait ce mot lorsqu'elle l'entendait et un
sentiment de trahison et de désespoir. Comment sa propre mère
pouvait-elle oublier qu'elle détestait ce plat ? Comment
pouvait-elle prononcer ainsi le mot « choucroute » en la
regardant droit dans les yeux ? L'avait-elle seulement oublié
ou avait-elle décidé de la punir ? Pourquoi avait-elle acheté
de la viande au supermarché au lieu de leur servir un de ses bons
poulets ? Et par-dessus tout : comment Mélissa allait-elle
faire au moment du repas, lorsque sa mère poserait son assiette
devant elle et qu'elle sentirait le fumet que dégageait la
choucroute ? À cette pensée, Mélissa eut la nausée. Elle ne
comprenait plus rien. Elle remonta donc dans sa chambre et se prépara
machinalement en retournant ces questions dans sa tête et cherchant
un moyen d'y échapper. Elle voyait déjà sa famille riant et
discutant autour de la table alors que la choucroute la séparerait
d'eux tel le mur de Berlin séparant les familles Allemandes avant sa
chute. Mélissa espérait que la chute de la choucroute serait
rapide, ainsi elle pourrait au moins profiter du dessert et d'une
partie de billard pour être avec sa famille. Mais avant cela... Elle
se dit que la choucroute serait une épreuve et qu'il lui faudrait
être brave pour en sortir indemne. La gorge serrée, elle prit son
courage à deux mains et descendit dans le salon. Perdue dans ses
pensées, elle n'avait pas entendu sa famille arriver lorsqu'elle se
préparait. Elle fit de son mieux pour repousser l'odeur nauséabonde
qui envahissait la maison et lança un « Salut ! »
en entrant dans la pièce. Tout le monde lui dit bonjour alors
qu'elle faisait de son mieux pour respirer le moins possible. Ils
prirent l'apéritif, et Mélissa en fît tout autant en essayant
d'oublier la choucroute qui cuisait tout près d'elle. Mais
lorsqu'elle respira, elle ne put retenir un haut-le-cœur. Tout le
monde le remarqua et pour plaisanter sa tante dit « Ah !
Elle est enceinte. », en riant. Or, cela était impossible, car
Mélissa était lesbienne, donc sa mère ne se soucia pas de la
remarque mais fit immédiatement le lien avec la choucroute.
-
Han ! J'avais oublié que t'aimes pas la choucroute ! Oh la
pauvre ! Tu veux que je te fasse autre chose ?
-
Elle mange comme tout le monde, dit son beau-père. Tu vas pas faire
36 plats.
-
Sinon tu mangeras que la viande, dit-elle en se tournant vers sa
fille. Non mais ça me donne envie de pleurer. Oh lala ! Ça y
est je suis pompette.
La
conversation passa sur un autre sujet et tout le monde oublia la
choucroute et Mélissa qui dut se résigner à affronter son pire
ennemi dans l'heure suivante.
Un
feuilleté au chorizo après l'autre, il fut bientôt l'heure de
passer à table. Mélissa, qui était resté silencieuse, prit place
avec sa famille, la peur au ventre et le regard vitreux. Lorsque sa
mère posa le plat de choucroute juste en face d'elle, Mélissa
partit comme dans un rêve éveillé.
Le temps s'arrêta autours d'elle et elle jura que la patate dans son assiette qui trônait sur une montagne de choux la fixait. Elle la vit lui sourire avec un regard maléfique. La patate eut un rire sournois que seule Mélissa pût entendre. Ne pouvant plus contrôler ses émotions et sauver les apparences, Mélissa fondit en larmes sur son plat de choucroute. Les larmes qui lui coulait du visage tombèrent sur la patate en lui effaçant ses traits.
Lorsque
le visage de la patate diabolique eut disparu, la réalité reprit sa
place dans l'esprit de Mélissa. Mais ses larmes, quant à elles,
était encore là, bien réelles. Tout le monde la fixa alors qu'elle
tentait en vain de retenir ses sanglots. En la voyant se décomposer
ainsi, sa mère, sous l'effet du champagne, se mit également à
pleurer par peine de faire ainsi souffrir sa fille. Voyant sa mère
attristée, Mélissa comprit que ce que sa mère lui avait fait subir
depuis son réveil n'était pas intentionnel. Elle lui pardonna donc,
et les larmes de sa mère lui donnèrent plus de courage. Le seul
moyen de faire disparaître cette maudite choucroute était, bien
évidemment, de la manger. Mélissa sécha ses larmes du revers de sa
main, empoigna ses couverts, se leva et dit : « JE VAIS LE
FAIRE POUR TOI, MAMAN ! » (Elle avait regardé le Roi Lion
II la veille au soir). Sous le regard ébloui de toute sa famille,
Mélissa massacra sa choucroute à grands coups de couteau, imaginant
qu'elle était Jeanne d'Arc combattant l'armée Anglaise en 1429. Une
fois sa choucroute laminée, Mélissa en avala chaque bouchée en
fixant sa mère, qui n'en revenait pas, droit dans les yeux afin de
lui donner assez de courage pour ne pas vomir. Le combat fut
fastidieux, mais Mélissa en vint à bout. Sa famille était restée
pour l'encourager jusqu'à la fin. Et c'est à 22 h 47
précisément que Mélissa avala le dernier morceau de pomme de terre
en faisant disparaître cette choucroute pour toujours.
Ils
restèrent tous assis en silence 30 minutes de plus ne croyant
toujours pas à ce qui venait de se produire. Il était donc 23 h 17
lorsque la mère de Mélissa, pleurant toujours, prit une autre flûte
de champagne, et alla chercher son gâteau à la fraise. C'était un
de ses gâteaux qui puaient des pieds et un nouveau combat commença
alors pour le reste de la famille.
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